SANKARA
BIOGRAPHIE
LA FAMILLE
Thomas Isidore Noël est né le 21 décembre 1949 en Haute-Volta (de nos jours, Burkina Faso) dans la ville de Yako, Chef-lieu de l’actuelle province du Passoré, dans la Région du Nord. Elle est située à 109 km au nord-ouest de Ouagadougou.
Il est le premier garçon mais le troisième enfant d’une fratrie qui en comporte douze : huit filles et quatre garçons.[1] Ses parents sont Joseph Sambo et Marguerite KINDA.
À sa naissance, Thomas portait le nom de famille Ouédraogo qui lui avait été attribué au lieu de celui de SANKARA, suivant un vieux pacte coutumier (cf. encart ci-dessous).
Et ce n’est qu’en 1968, sur insistance de Thomas, que son père engagera les démarches judiciaires nécessaires pour lui redonner son patronyme d’origine, Sankara.
Des liens anciens et solides existent entre la famille royale de Téma-Bokin (des Ouédraogo) et les Sankara de Téma-Bokin. En effet les Sankara sont issus du mariage entre un peulh venu s'établir dans la région et une des filles du chef de Téma-Bokin que celui-ci lui a donné en mariage. Cela dans le but de s’en faire un allié et aussi pour que le peulh reste dans la région avec son grand cheptel, qui serait d’un apport économique appréciable pour la contrée.
De ce mariage sont donc issus les « silmimoosés » (métis peulh-mossi), que sont les Sankara. Cette tradition est restée et généralement la première fille du chef de Tema est donnée en mariage à un Sankara. Et les enfants issus de cette union sont élevés chez leurs oncles maternels, les Ouédraogo de la Cour royale.
En application de cette coutume, Joseph, le père de Thomas, a été envoyé par son père chez le chef de Tema, Naaba Kougri, pour y être élevé.
Tout naturellement, le chef lui a donné le nom de famille Ouédraogo, quand il l’a fait enrôler dans l’armée coloniale comme un de ses enfants. Le jeune Joseph a grandi avec ce patronyme et de ce fait ses enfants ont également porté ce nom.
C'est bien plus tard que la famille a décidé de revenir à leur nom de famille originelle qu'est Sankara, sur le fondement du jugement rectificatif du Tribunal de premier degré de Yako en date du deux février 1968.
Après sa démobilisation de l’Armée coloniale, Joseph a été reconverti en gendarme auxiliaire, pour servir comme infirmier.
Thomas Sankara, lieutenant, épouse le 21 juillet 1979 Mariam Sérémé, alors étudiante en économie. De cette union sont nés deux garçons : Philippe le 10 août 1980 et Auguste le 21 septembre 1982.
[1] Florence, Marie-Denise, Thomas, Pascal, Valentin, Colette, Elisabeth, Pauline, Paul, Blandine, Lydie, Odile.
CURSUS SCOLAIRE
C’est à Gaoua, ville située dans le sud-ouest du pays où son père avait été affecté, que le jeune Thomas fera son enfance et effectuera son cursus d’école primaire.
Il rejoindra le lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso pour le premier cycle du secondaire en 1962. Y ayant obtenu le BEPC[1], il décide de passer le test pour un recrutement d’élèves au profit de l’Ecole Militaire Préparatoire (EMP) de Ouagadougou.[2]
Admis à ce test, il revêt pour la première fois à la rentrée scolaire en 1966, l’uniforme militaire qu’il ne quittera plus. A tel point que celui-ci fera partie intégrante de son image publique pour toujours.
[1] Brevet d’Etudes du Premier Cycle (diplôme sanctionnant la fin du 1er cycle du secondaire, appelé de nos jours le Collège).
[2] L’EMP qui succéda à l’EMPA (Ecole Militaire Préparatoire Africaine), à l’instar de ses homologues de Saint-Louis (Sénégal), de Kati (Mali) et Bingerville (Côte d’Ivoire) était un prytanée. Elle prit en 1970 l’appellation de Prytanée Militaire du Kadiogo (PMK). De nos jours cette école a le même sigle, cependant le nom est devenu Prytanée Militaire de Kamboinsin
CURSUS MILITAIRE
Thomas Sankara obtient le baccalauréat en série scientifique en 1969. Attiré dans un premier temps par les études de médecine, il optera pour une carrière dans l’infanterie commando, parce qu’on lui avait dit qu’elle était la plus difficile dans l’Armée.
Il est orienté à l’Académie militaire d’Antsirabe dont c’était la quatrième promotion d’élèves-officiers. A l’issue de trois ans de formation dans cette école, Thomas Sankara, nommé au grade de sous-lieutenant, demande et obtient de repartir à Madagascar pour une année supplémentaire de stage, qu’il effectuera au sein du Service Civique.[4]
De retour en Haute-Volta, il sera affecté comme instructeur au Groupement d’Instruction des Forces Armées à Bobo-Dioulasso.
En 1974, après un court séjour à la Direction du Génie militaire à Ouagadougou, il effectuera brillamment un stage d’instructeur-commando à Mont-Louis (France), puis d’officier parachutiste à Pau (France) en 1975, et de moniteur parachutiste à Rabat (Maroc) en 1978.
Cependant sa plus grande réalisation dans les Forces Armées fut la formation de la première unité de commandos de l’Armée voltaïque, en février 1975, suivie de la création du Centre National d’Entraînement Commando en 1976 à Pô (ville située à 150 km au sud de Ouagadougou). C’est le fameux CNEC, dont l’histoire se mêle intimement à celle du pays tout entier, qu’il a grandement contribué à modeler.
Même quand Sankara a été relevé du commandement du CNEC pour être employé à la Division Opérations de l’Etat-major Général des Forces Armées, les hommes de cette unité n’ont jamais cessé de le considérer comme leur véritable chef. Ils ont accepté Blaise Compaoré comme l’un des leurs parce que c’est Sankara lui-même qui l’a proposé pour le remplacer, et l’a donc adoubé à leurs yeux.
Sankara a assurément été un officier valeureux, adulé par ses hommes et apprécié par ses supérieurs et ses instructeurs, comme l’illustrent les notations ci-après :
« …cet officier a fait très bonne impression tant par son dynamisme contagieux sur ses hommes que par son esprit constant de mieux comprendre et de bien faire. Elément très intéressant, à suivre et à encourager ». Chef de Bataillon KI Nazaire, Directeur du Groupement d’Instruction des Forces Armées Voltaïques.
« Jeune officier para-commando ayant fait preuve de cran à la tête de sa compagnie lors du conflit frontalier Mali vs Haute-Volta. Le lieutenant Sankara confirme ainsi son intelligence et la brillante qualité de sa formation. Il fait montre de remarquables qualités de chef et d’instructeur. Officier extrêmement solide, dynamique, entreprenant et digne de la plus grande confiance. Très à l’aise sur le terrain, ayant au plus haut point le sens du concret. Obtient en toutes circonstances le maximum de son unité. Officier de choix, en très bonne voie ; a de l’avenir. » Colonel Saye ZERBO, commandant le RIA (Régiment Interarmes d’Appui).
« Officier commando et parachutiste par excellence, et un des meilleurs dans ces domaines. Comme commandant de compagnie, a fait de la Compagnie commando Baïlo une unité d’élite qui a fait ses preuves lors du conflit frontalier Haute-Volta # Mali.
Excellent instructeur commando, véritable entraîneur d’hommes, tenace et énergique. Commandant de compagnie ayant une personnalité marquée, commando complet et expérimenté. Sens manœuvrier très développé. Officier de qualité indiscutable, parfait dans la troupe. Sera un officier de haut rang s’il complète sa formation en servant dans un Etat-major ». Colonel Saye ZERBO, commandant le RIA.
« Jeune capitaine commandant le CNEC, robuste, dynamique, tenace, a une grande confiance en lui-même ; aime les responsabilités et sait prendre les décisions circonstancielles ; d’un esprit ouvert et méthodique. S’intéresse à l’instruction. Franc et autoritaire, est à l’aise dans tous les milieux.
En résumé, excellent officier ». Colonel SOME Yoryan Gabriel.
« Ouvert, disponible et inspirant la sympathie, par ailleurs compétent, il devrait s’imposer sans difficultés à la tête d’une unité.
Officier de grande qualité et digne de confiance, le capitaine Sankara est particulièrement apte au commandement et semble devoir être ultérieurement un candidat de choix à l’enseignement militaire supérieur. » Général de Division PITEL, Commandant l’Ecole d’Application de l’Infanterie (Montpellier, France)
« Jeune capitaine plein d’allant. Entraîneur d’hommes, sportif et consciencieux. Traite les sujets avec objectivité. Toujours à la recherche du perfectionnement. Excellent pédagogue, méthodique et a le sens du rendement.
Je suis entièrement satisfait de l’avoir sous mes ordres.
Vient d’être nommé Secrétaire d’Etat à l’Information, fonction qu’il occupera avec compétence. Officier à encourager. Colonel DJERMA Mamadou, Chef de la D.O de l’EMGA.
[4] Le Service civique est une structure des Forces Armées malgaches qui gère des centres de production, où les jeunes gens sont formés en agriculture et en élevage et dotés de matériels à l’issue de leur formation.
LE MILITAIRE PATRIOTE
Thomas Sankara s’est distingué dès l’entame de sa carrière comme un officier atypique :
en demandant à repartir à Madagascar pour mieux s’imprégner de l’expérience malgache d’une armée contribuant à la production agricole et animalière ;
au Centre d’Instruction à Bobo, il a initié des cours du soir en français au profit des recrues militaires. Ceci afin de leur permettre de mieux assimiler la formation et d’accroître leurs compétences et leurs chances de réussir leurs carrières. Il y ajoutait des cours d’instruction civique pour les préparer à vivre harmonieusement au sein de la société ;
durant son bref passage au Génie militaire, au lieu d’être tranquillement assis dans un bureau climatisé loin des chantiers, souvent il conduisait lui-même un camion benne et faisait les rotations pour le faire remplir de terre à déverser sur le chantier, comme les autres chauffeurs, qui étaient soldats de 2ème ou de 1ère classe ;
à Pô, au début il y avait des altercations fréquentes entre commandos et policiers lors des contrôles routiers. En effet, les militaires rechignaient à acheter les vignettes annuelles pour leurs véhicules, ce que les policiers ne pouvaient tolérer. Pour y mettre fin, Sankara fit la liste de tous les militaires possédant une mobylette ou une moto ; il fit retenir par le Trésorier du Centre le montant de la vignette sur les salaires de chacun d’eux, envoya acheter toutes les vignettes. Il se présenta personnellement au Commissariat de Police avec lesdites vignettes, pour demander aux policiers de ne plus contrôler les militaires pour cela, puisqu’ils avaient la preuve que tous ses hommes étaient désormais en règle. En renouvelant cette opération chaque année, il mit fin à la fréquente pomme de discorde entre ces deux entités.
l’histoire la plus cocasse du lieutenant Thomas Sankara est sans doute celle de la motopompe : quand le CNEC s’est installé à Pô, il n’y avait pas d’eau courante dans la ville. Les commandos devaient aller se ravitailler à un puits assez distant de leur base, avec des seaux. Et pendant la longue saison sèche, il fallait se lever tôt, faire la queue pour avoir accès au puits, et passer des heures à puiser et à ramener la quantité d’eau nécessaire pour les besoins du camp. Constatant que la corvée d’eau le privait de beaucoup d’heures qui auraient dues être consacrées à la formation, un matin, sur un coup de tête, le lieutenant Sankara sauta dans sa jeep et se rendit à Ouagadougou pour ramener une motopompe. Sans un sou il se rendit dans un magasin, choisit une motopompe et demanda de lui faire une facture proforma. Quand on lui demanda quel nom mettre sur la facture proforma, il réfléchit une seconde, puis dit : Présidence commando. Malgré l’étonnement du vendeur (personne ne connaissait de Présidence commando en Haute-Volta), il prit son document, fonça directement à la Présidence de la République (!) et demanda à rencontrer le Chef de l’Etat. Il refusa d’indiquer le motif de l’audience au Protocole, insistant que c’était important, urgent et confidentiel. Il fut donc reçu dans la même matinée par le Président Lamizana, à qui il dit : « Mon Général, veuillez m’excuser de cette intrusion, mais je suis le responsable du CNEC, et je ne peux pas former mes hommes à cause du manque d’eau. Je sollicite humblement de vous l’achat de la motopompe dont voici la proforma afin que nous puissions remplir notre mission ». Très surpris mais bon père de famille comme il a toujours été, et ayant de l’estime pour le jeune officier dont il connaissait les faits d’armes, le Général Lamizana fit acheter l’engin sur les fonds de la Présidence ; et Sankara pût repartir à Pô avec la motopompe tant désirée, qui soulagera grandement ses hommes et la population.
En somme, il apparaît que l’officier Thomas Sankara s’est montré très tôt soucieux de ses hommes, de sa mission, mettant la main à la pâte, et attentif à la cohabitation harmonieuse et mutuellement bénéfique entre le militaire et la société.
Toutefois, c’est un évènement regrettable, le malheureux conflit de décembre 1974 entre le Mali et la Haute-Volta, qui mettra le lieutenant Sankara sous les feux des projecteurs. En effet, à la tête des commandos qu’il venait de former (la compagnie Baïlo), il fit preuve d’audace et de grandes qualités tactiques, pour apporter au peuple voltaïque la fierté et le réconfort qu’il escomptait de son armée, qui ne brillait jusque-là que par sa léthargie.
LE CHEF D'ETAT
L’estime du peuple pour Thomas Sankara et son carrure personnelle semblent s’être renforcées par paliers successifs, suivant les étapes de son ascension publique et politique. D’abord adulé pour ses faits de guerre, il symbolisera l’incorruptible par sa démission retentissante du gouvernement du CMRPN[1]. Ensuite, la fonction de Premier ministre du CSP[2] dévoilera le serviteur du peuple, le révolutionnaire assumé.
Enfin, la charge de Chef d’Etat révèlera au monde entier l’envergure exceptionnelle de l’homme. Constamment tenaillé par la satisfaction des besoins de son peuple ainsi que le développement et l’indépendance de son pays, profondément humaniste et solidaire de toutes les luttes d’émancipation de par le monde, il a marqué à jamais son époque et toutes les jeunesses du monde, qui retrouvent en lui l’image immaculée du révolutionnaire pur. Laborieux, compétent, visionnaire, éloquent, loyal, sincère, intègre, humaniste, Thomas Sankara a sublimé l’action politique et l’engagement révolutionnaire.
[1] Le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN) est l’instance qui a renversé le Président Lamizana le 25 novembre 1980. Il a contraint Thomas Sankara à faire partie de son gouvernement, comme Secrétaire d’Etat à l’Information, de septembre 1981 à avril 1982. Sa lettre de démission n’ayant pas reçu de suite, il l’obtiendra néanmoins en prenant publiquement à partie le Pouvoir de Saye Zerbo devant les caméras du monde entier, lors de la cérémonie du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO). C’est à cette occasion qu’il a prononcé une de ses phrases célèbres : « malheur à ceux qui bâillonnent leurs peuples »
[2] Le Conseil de Salut du Peuple, dont il fut Premier ministre du 10 janvier au 17 mai 1983.
LE HEROS DE LA NATION
Des décennies après son assassinat, les discours de Sankara demeurent le viatique de tous les jeunes africains qui s’élèvent contre la domination de leurs pays; son exemple est la boussole qui guide les pas de tous qui s’engagent dans les sentiers escarpés de la lutte pour la liberté et la fraternité des peuples.
Au plan national, son idéal a sous-tendu toutes les contestations du régime d’asservissement de Blaise Compaoré, et plus particulièrement l’insurrection populaire de 2014.
Au grand dam de ceux qui, après l’avoir assassiné et dénigré, croyaient l’avoir définitivement couvert d’opprobre, Thomas Sankara a été élevé au rang de Héros National, tente six ans après sa disparition physique.
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